Visite de M. Félix FAURE , Président de la République Française
le 13 Mercredi janvier 1897.
Tableau de Andricus Jacobus-Burgers (1834-1899), don de l'artiste à l'Institut National des Sourds-Muets de Paris.
M.Félix FAURE, né à Paris le 30 janvier 1841 et mort le 16 février 1899 dans la même ville, est un homme d’État française.
Ministre de la Marine de 1894 à 1895, il est élu la même année président de la République (le 7eme sous la IIIeme république) . Il meurt soudainement, quatre ans après élection, dans des circonstances passées à la postérité.
Je viens de trouver le rapport de la visite du Président de la République M.Félix FAURE, il est un peu long mais très intéressante.
VISITE DE M. FÉLIX FAURE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Le mercredi 13 Janvier 1897, M. Félix Faure, Président
de la République française, continuant la tradition des illustres souverains et
chefs d’État qui, depuis sa fondation, ont honoré de leur visite la vieille
maison de l'abbé de l’Épée, s'est rendue à l'institution nationale des
sourds-muets de Paris.
M. le Président de la République avait fait prévenir,
la veille au soir, M. le Directeur Debax, préfet honoraire, de son intention de
donner cette marque de sa sollicitude aux déshérites de 1'oui'e et de la
parole, et de venir se rendre compte de l'organisation générale de l'établissement.
La visite de M. le Président de la République était annoncée
pour le matin à 10 heures.
Connaissant la ponctualité toute militaire du chef de l’État, le Directeur surveillait lui-même, depuis la première heure, les préparatifs
de la cérémonie et faisait prendre les mesures nécessaires.
De 9 heures à 10 heures arrivaient a 'Institution
nationale : MM. Henri Monod, conseiller d’État, directeur de l'Assistance et de
l'hygiène publiques au ministère de l'intérieur; le docteur Ladreit de
Lacharriere, médecin en chef de l'institution ; Camut, architecte des bâtiments
civils au ministère de l'instruction publique et des beaux-arts. D'autres hauts
fonctionnaires n'avaient pu, malheureusement prévenus à temps.
A 10 heures moins un quart, tous les élevés de
l'institution. Au nombre de 220, sont ranges dans la cour d'honneur, sous la
galerie.
Le Directeur, en uniforme, se place devant le front
des élevés, entouré du personnel administratif, médical et enseignant,
assistant M. Monod, conseiller d’État, qui représente M. le Ministre de l'intérieur.
A 10 heures, les nombreuses personnes qui garnissent les
fenêtres des maisons voisines dirigent leurs regards dans la direction de l'église
Saint-Jacques, des acclamations se font entendre et la grande porte de l'institution
tourne sur ses gonds pour livrer passage à M. le Président de la République.
M. le Président met pied à terre, suivi de M. le général
Tournier, secrétaire général de la présidence, de M. Le Gall, directeur de son
cabinet civil, de M. le commandant Meaux de
Saint-Marc, officier de sa maison militaire.
M. le Président de la République est aussitôt conduit
par le représentant de M. le Ministre dans le cabinet de la Direction, ils ont
lieu les présentations d'usage. Le Directeur présente successivement au chef de l’État, M. Dubranle, censeur des études a l'institution nationale, qui, après
avoir franchi tous les degrés de l'enseignement, s'est élevé, par son grand mérite,
a la haute situation qu'il remplit si bien ; M. Thomas, économe depuis l'année
1881, fonctionnaire expérimenté et très laborieux qui, dans un poste difficile,
ne cesse de s'appliquer au bon fonctionnement et à 1'amelioration des services;
M. le docteur Ladreit de Lacharriere, médecin en chef de l'institution depuis
l'année 1867, dont la science n'est égalée que par un dévouement sans bornes
aux jeunes sourds-muets, ainsi qu'aux nombreux indigents qui fréquentent la
clinique otologique annexée a l'institution ; M. Camut, architecte des bâtiments
civils au ministère de l'instruction publique et des beaux-arts, charge des
travaux d'entretien et d'embellissement de la maison, dont il ne saurait trop
louer la grande expérience et le gout.
Le Directeur regrette vivement de ne pouvoir présenter
la Commission consultative, qu'il n'a pas eu le temps de convoquer. Les membres
distingues qui la composent, MM. Colmet- Daage, ancien magistrat; Gaufres,
ancien membre du conseil municipal de Paris; Albert Martin, ancien membre du
conseil de l'ordre des avocats; Eugene Pereire, ancien député, président de la
Compagnie générale transatlantique ; Rihouet, conseiller référendaire a la Cour
des comptes ; Leydet, sénateur; Mavre, avocat à la Cour d'appel, et, à leur tête,
M. le Président
Marguerie, conseiller d’État, donnent, depuis de
longues années, des marques constantes de leur sollicitude a l'institution
nationale et prêtent au Directeur, dans son administration, le précieux
concours de leur expérience et de leurs conseils.
Le Directeur regrette aussi de ne pouvoir présenter M.
le docteur Meniere, médecin adjoint depuis 1891, dont le père a occupé, pendant
de longues années, la situation de médecin en chef à l'institution; MM. les
docteurs Tscherning et Jarre, ainsi que M. Legay, interne attache à la clinique
otologique.
En terminant, le Directeur, au nom de
l'administration, du corps enseignant et des élèves, témoigne sa reconnaissance
à M. le Président de la République. La mémorable visite qu'il daigne faire en
ce jour est un inappréciable encouragement pour les maitres, un sujet de grande
joie pour les élevés, un honneur pour tous. Aux sentiments de gratitude qu'il
exprime, le Directeur demande qu'il lui soit permis d'associer le nom respecté
de Mme Félix Faure. « On connait, dit-il, dans ce quartier ils s'abritent tant
de misères, l'ardente charité qu'elle s'efforce de couvrir du voile le plus
discret. En venant visiter les enfants déshérités de l'ouïe et de la parole, en
apport tant le réconfort de votre présence a de pauvres petits pour la plupart
fils de pauvres gens, je suis bien certain que la pensée charitable de Mme Félix Faure vous a suivi dans cette demeure et y réside en ce moment avec vous.
»
M. le Président de la République remercie le Directeur
des dernières paroles qu'il vient de prononcer; il trouve un mot aimable pour
chacun des fonctionnaires qui lui ont été présentes et leur serre la main.
Dans la salle voisine, dite des Commissions, se trouve
réuni le personnel enseignant de l'institution nationale.
Le Directeur, en présentant les professeurs à M. le Président
de la République, dit avec quel zèle et quel dévouement ceux-ci lui prêtent
leur collaboration dans la tâche difficile de l'éducation des jeunes
sourds-muets. M. le Président répond qu'il est heureux de se trouver au milieu
d'hommes de devoir et de science, tels que les professeurs de l'institution
nationale, il les assure de la reconnaissance des familles et de celle du
gouvernement de la République.
M. le Président passe ensuite dans la salle des fêtes,
ils sont réunis les élèves des deux quartiers. Tous les jeunes sourds-muets se lèvent
a l'arrivée du chef de l'état, et, d'une voix assez sonore et bien articulée, répètent
ce cri : « Vive le Président de la République! »
M. le Président sourit, visiblement ému au spectacle
d'une ovation à laquelle il est bien accoutume, mais qu'il ne pensait
certainement pas retrouver jusque chez les sourds-muets.
M. le Président de la République et sa suite ayant
pris place sur les sièges qui garnissent l'estrade de la salle, un élève du cours
de perfectionnement, le jeune Magne, vient se placer en face du chef de l’État,
un compliment a la main. D'une voix assez claire, et surtout avec une
articulation bien nette, le jeune sourd-muet s'exprime, de mémoire, en ces
termes :
« Monsieur le Président,
Je suis très fier de saluer, au nom de mes camarades,
le premier magistrat de la République. Nous vous remercions du grand honneur
que vous nous faites en venant visiter la vieille maison de l’abbé de l’Épée.
Nous savons, Monsieur le Président, avec quelle
sollicitude vous vous intéressez au sort des humbles et des déshérites, et nous
vous en sommes profondément reconnaissants.
Cette journée sera inscrite dans les annales de notre école,
et elle laissera dans le cœur de chacun de nous un souvenir ineffaçable. »
Vivement intéressé a la vue de ce jeune orateur, naguère
encore condamne au mutisme le plus absolu, M. le Président de la République se
renseigne auprès du Directeur sur les procèdes employés dans l'enseignement de
la parole aux jeunes sourds-muets et sur la méthode suivie pour développer leur
intelligence. Le Directeur expose d'une façon concise les principes généraux de
la méthode éducative en usage a l'institution nationale de Paris, et dont,
ajoute-t-il, M. le Président sera à même d'apprécier les bienfaits d'une manière
plus générale en retrouvant tout à l'heure les élèves dans leurs classes
respectives.
M. le Président de la République charge à ce moment le
Directeur de faire savoir aux élèves qu'il a apporté des jouets pour les plus
jeunes d'entre eux. Un jeune sourd-muet vient remercier de vive voix au nom de
ses camarades.
Au moment de quitter la salle des fêtes, 1' attention
de M. le Président de la République est retenue par le grand tableau qui
surmonte l'estrade, et sur lequel le peintre Gonzague Privat a représenté l’abbé
de l’Épée instruisant ses élèves en présence du roi Louis XVI, de la reine
Marie-Antoinette et de plusieurs personnages de la cour. Le Directeur saisit
cette occasion pour énumérer à M. le Président les principales visites de
souverains et chefs d’État qu'a reçues l'institution nationale de Paris depuis
sa fondation par l’abbé de l’Épée.
Le cortège se reforme alors pour la visite des bâtiments
de l'institution.
La chapelle vient en premier lieu. Construite il y a près
d'un siècle, elle a été bénite solennellement par le pape Pie VII en personne
en 1805. D'une décoration sobre, mais de bon gout, la chapelle attire
l'attention des visiteurs par ses dimensions telles qu'elle peut contenir près d'un millier de personnes.
Le Directeur rappelle à M. le Président de la République
les longs états de service de M. l’abbé Goislot, aumônier de l'institution
nationale, qui, non content de donner l'instruction morale et religieuse aux
jeunes sourds-muets, s'efforce surtout de demeurer leur ami et leur conseiller
quand ils ont atteint l’âge adulte.
De la chapelle, M. le Président de la République passe
au Musée universel des sourds-muets, installé dans la grande galerie de l'institution
nationale.
Ce Musée excite particulièrement l'attention de M. le Président
de la République, qui le parcourt avec un visible intérêt.
Le Directeur, assiste de M. Theophile Denis,
conservateur du Musée, et de M. Boyer, conservateur adjoint, en fait les honneurs
au chef de l’État.
C'est d'abord la section historique qui s'offre aux
regards des visiteurs avec les vues et dessins de la maison qu'occupait l’abbé
de l’Épée, 14 rue des Moulins, et dans laquelle ce vénérable prêtre ouvrit en
1760 la première école publique de sourds-muets, considéré a juste titre comme
le berceau de l'institution nationale de Paris. Puis viennent les vues des écoles
nationales de sourds-muets de Bordeaux et de Chambéry, des institutions départementales,
communales ou privées de France, ainsi que des principaux établissements similaires
de l'étranger.
Dans la division des portraits, le Directeur indique à
M. le Président de la République les bustes, médaillons, peintures, gravures,
reproduisant les traits de l’abbé de l’Épée et des principaux éducateurs et bienfaiteurs
des sourds-muets de tous pays : Pedro Ponce de Léon, Cardan, Wallis, Pereire, Heinicke,
l’abbé Sicard, le baron de Gerando, le Dr Itard, Hopkins Gallaudet, Valade-Gabel,
l’abbé Tarra et quantité d'autres.
Mais la partie du Musée qui frappe surtout l'illustre
visiteur est la section artistique, composée exclusivement d'œuvres exécutées
par des artistes sourds-muets (peintures, sculptures, gravures, lithographies, mosaïques)
et dont un certain nombre sont des plus remarquables.
Parmi les œuvres admirées par le Président de la République,
citons une grande toile représentant Les derniers moments de l’abbé de l’Épée,
par Peyson, élève de Ingres; des pastels et mosaïques de Wallon, élève de
Belloni; Carnot a Wattignies, du peintre Loustau, élève de Leon Coigniet; Louis
XI a Péronne, César au passage du Rubicon, Mort de Cléopâtre, du statuaire Félix Martin, second prix de Rome en 1869; un médaillon de l’abbé de l’Épée,
par Hamar; plusieurs dessins et lithographies d'Auguste Colas, R. Hirsch et H.-V.
Cauchois; Le matin à Arromanches, du peintre Charon, élève de Desbrosses et
Guillemet; Danton, du sculpteur P.-F. Choppin ; deux toiles de genre, du peintre
E. Rigaut ; Portrait de jeune homme, du sculpteur A.-J. Cochefer; Jeune
italienne, du sculpteur R. Desperriers; de jolies gravures de L. Eymardetde L.
Lambert; En reconnaissance, du peintre N. Ginouvier; Le maréchal de Mac-Mahon,
portrait équestre, du peintre Princeteau, médaille de 2" classe en 1886; Mélancolie,
du peintre L. Le Carpentier; un grand buste de Gambetta, par Hennequin, élève
de Bonnassieu. A propos du buste de Gambetta, le Directeur rappelle à M. le Président
de la République la visite dont le grand tribun honora l'institution nationale
le 20 juillet 1881. Indépendamment de ceux qui se sont distingués dans les beaux-arts,
un certain nombre de sourds-muets se sont fait un nom dans les lettres. Ils
sont tous représenté au Musée par leurs bustes ou leurs portraits. C'est ainsi
que le Directeur montre successivement les portraits des sourds-muets Clerc, élève
de 1'Institution nationale de Paris, qui allia fonder et diriger aux États-Unis
la première institution ouverte dans ce pays pour l'éducation des sourds-muets
; Massieu , qui dirigea les Institutions de Rodez et de Lille; Berthier, membre
de la Société des gens de lettres, chevalier de la Légion d'honneur; Chambellan,
officier de l'instruction publique, vice-président de la Société centrale
d'assistance et d'éducation des sourds-muets en France; Dusuzeau, bachelier es
sciences mathématiques, officier d'académie ; Pelissier, auteur de poésies remarquées;
Theobald, officier de l'instruction publique, auteur d'ouvrages estimés sur l'éducation
des sourds-muets; Cochefer, président-fondateur de la Société d'appui fraternel
des sourds-muets de France, lauréat de la Société d'encouragement au bien;
Capon, officier d'académie, lauréat de l’Académie française; H. Genis, président
de l'Association amicale des sourds-muets de Paris ; Henri Gaillard, directeur-fondateur
du Journal des sourds-muets, de Paris ; Emile Mercier, président-fondateur de
l'Association amicale des sourds-muets de la Champagne. ,
II est permis de dire que la visite de M. le Président
de la République au Musée universel des sourds-muets constitue pour celui-ci
une véritable inauguration officielle. De fondation toute récente, le Musée
n'avait encore reçu la visite d'aucun personnage officiel. Ce jour marquera
donc dans les annales du Musée universel des sourds-muets, et la visite du chef
de l’État ne contribuera pas peu à faire connaitre et apprécier du grand public
les aptitudes intellectuelles et artistiques dont les sourds-muets sont
susceptibles à l'égal des entendant-parlants.
Après la visite du Musée commença la visite des
classes, que M. le Président de la République parcourut successivement,
interrogeant lui-même de vive voix les élèves, s'enquérant avec une sollicitude
toute paternelle auprès des jeunes sourds-muets de tout ce qui a trait à leur
famille, à leur séjour à l'école, à leur avenir.
De jeunes élèves de 1er et de 2eme année d'études,
appartenant aux classes d'articulation, autrement dit de démutisation, sont
d'abord présentés. M. le Président de la République est émerveille d'entendre
ces enfants de 7 et 8 ans, muets encore hier, commencer à émettre, à articuler
des sons, des syllabes, des mots, tout comme un bébé qui s'essaye à reproduire
les paroles que vient de proférer sa mère.
Dans la 3eme année d'études, les jeunes sourds-muets
sont complètement démutisés; ils ont appris à prononcer tous les sons dans
leurs combinaisons les plus complexes; ils ont également appris à reconnaitre,
par la vue, sur la bouche qui leur parle, les mots que leur oreille est incapable
de percevoir; en d'autres termes, ils savent a présent parler et comprendre ce
qui leur est dit oralement. L'art a ainsi corrige les imperfections de la
nature, suivant le devis de Bonet, l'un des initiateurs de la « science qui
ouvre la bouche aux muets » :
Sic natura vinculo, solvit artis, ita ars naturae
vinculo, solvit.
M. le Président de la République veut mettre à l'épreuve
les deux nouveaux moyens de communication que viennent ainsi d'acquérir d'une manière
artificielle les jeunes sourds-muets. S'approchant de l'un d'eux, et articulant
très nettement ses paroles, il lui pose toute une série de petites question, comme
s'il s'adressait à un enfant ordinaire : « Comment t'appelles-tu? — Quel est
ton prénom? — As-tu un frère? — Est-il sourd-muet? — Travaille-t-il? —
Qu'est-ce que fait ton frère? — Te plais-tu bien à l'institution? » Le jeune sourd-muet,
devenu sourd-parlant, saisit avec facilite les questions et y répond à propos
et d'une voix bien articulée.
Dans une classe de 4eme année, les élèves, interroges
toujours par M. le Président lui-même, font preuve non-seulement d'une
articulation bien nette, mais encore d'une certaine connaissance de la langue.
L'un d'eux, interroge sur la visite du tsar Nicolas
II, répond qu'il a vu l'empereur de Russie durant son séjour a Paris et qu'il a
crié : « Vive la Russie! » ce qui provoque des sourires et des applaudissements.
Dans cette même classe, M. le Président de la République s'intéresse au cas
d'un jeune enfant, muet de naissance, quoique entendant, et qui est venu apprendre
la parole parmi les sourds-muets.
En 5eme année, M. le président de la République,
interrogeant un élève, lui demande, entre autres choses, s'il aime les congas,
et aussi dit le petit sourd-muet de répondre : « Oh! Oui, monsieur le Président
de la République, et mes camarades aussi.»
Dans les classes de 6eme et 8eme année, que M. le Président
de la République n'a pas eu le loisir de visiter, il eut certainement constate
des résultats aussi satisfaisants que ceux qu'il avait vus jusque-là.
Dans la classe de perfectionnement, M. le Président de
la République est à même d'apprécier le développement intellectuel qu'acquièrent
les jeunes sourds-muets durant leur séjour à l'institution nationale, ainsi que
les connaissances de toutes sortes qui leur sont enseignées. Les élèves répondent
avec aisance à des questions d'histoire, de géographie, d'histoire naturelle.
La visite des classes se termine par le dessin, le
directeur présente au chef de l’État le professeur M. H.-J. Burgers, artiste
peintre distingue, qui cultive et dirige avec le plus grand soin les
dispositions naturelles de ses élèves. M. le Président remarque dans cette
classe spéciale les aptitudes artistiques naissantes chez un grand nombre de
petits sourds-muets.
Émerveillé des résultats obtenus au point de vue de l'éducation
et de l'instruction, M. le Président de la République, en quittant les classes,
exprime son plus vif contentement au
Directeur.
Après l'enseignement intellectuel vient l'enseignement
professionnel. II est à ce moment 11 heures ; il y a plus d'une heure que M. le
Président de la République parcourt l'établissement.et, loin de se lasser, son intérêt
semble grandir encore.
Le Directeur propose d'abord la visite de l'atelier
des tailleurs, placé sous la direction de M. Spitz, de la maison Harrissard.
Toujours bienveillant, M. le Président va d'un élève à un autre, questionnant
avec bonté ces enfants sur leur profession, leur gout pour le métier qu'ils
apprennent, sur leurs intentions pour l'avenir. L'un d'eux, à qui il demande
s'il restera à Paris lorsqu'il aura terminé son apprentissage, lui répond avec netteté
: « Oh! Non, monsieur le Président, je retournerai dans mon pays et je m'établirai
avec mon père. »
En parcourant la salle de l'atelier de cordonnerie, M.
le Président de la République remarque au mur la médaille de bronze décernée dernièrement
au chef de cet atelier pour ses bons et longs services. Apprenant que M. Grell
appartient depuis 40 ans à l'institution nationale, M. le Président fait appeler
ce fonctionnaire et lui dit simplement : « Je change votre médaille de bronze
en médaille d'or. » Les assistants ne peuvent retenir leurs applaudissements,
et M. Grell, très ému de la distinction qui lui est ainsi directement décernée
par le chef de l’État, lui en exprime toute sa reconnaissance.
M. le Président de la République passe ensuite à la lithographique,
dirigée par M. Pineau, de la maison Champenois, et constate une fois de plus
les aptitudes artistiques des jeunes sourds-muets. Les travaux qui lui sont présentés
dans cet atelier font l'objet de l'admiration de M. le Président.
A l'étage au-dessous sont les apprentis sculpteurs.
S'approchant d'un élève occupé à modeler un portrait en plâtre, M. le Président
de la République lui demande quel est le personnage ainsi représenté, et le jeune
sourd-muet aussitôt de répondre: « C'est le portrait de M. Desire"
Ordinaire, ancien Directeur de notre Institution. »
M. le Président s'informe auprès du professeur de
sculpture, M. Drovin, des capacités professionnelles qu'acquièrent les sourds-muets
pendant leur séjour dans son atelier, de leurs chances de placement à la sortie
de l'école et du salaire qu'ils peuvent espérer dans les ateliers du dehors.
A la typographique, atelier placé sous la direction de
MM. Plon-Nourrit, M. le Président de la République voit les apprentis sourds-muets
composer avec habileté différents ouvrages. Le
Directeur fait remarquer à M. le Président que les
sourds-muets, en général, ont une grande aptitude à devenir d'excellents
typographes ; que l'imprimerie nationale et de grandes maisons industrielles,
comme les imprimeries Plon-Nourrit, Paul-Dupont, Firmin-Didot, Mame, occupent des
compositeurs sourds-muets et n'ont qu'à se louer de leur travail.
Avant qu'il se retire, le Directeur prie le chef de l’État
de bien vouloir agréer un exemplaire imprime sur papier spécial, et compose expressément
a son intention, de la notice sur I 'Institution nationale des sourds-muets de
Paris depuis sa fondation jusqu'à nos jours, étude qui constitue un ouvrage important
et dont la composition typographique a été faite par les jeunes sourds-muets de
l'établissement.
Dans le trajet de l'atelier de typographique à celui
de menuiserie, des exemplaires de cette notice sont remis à chacun des personnages
qui accompagnent M. le Président.
A la menuiserie, M. le Président remarque les travaux exécutes
par les élèves de cet atelier, sous la direction de MM. Franclet et Duguey. M.
le Président s'intéresse particulièrement à un sourd-muet nègre, le jeune
Henry, originaire de la Guadeloupe, apprenti menuisier. Ce jeune sourd-muet, a
la mine éveillée, répond avec facilite aux questions qui lui sont adressées et témoigne
de son contentement de se trouver à 1'Institution.
De l'atelier de menuiserie, situe au rez-de-chaussée,
M. le Président de la République se rend sur la terrasse qui domine le grand
jardin de 1'Institution, véritable école d'horticulture, de jeunes sourds-muets
reçoivent les leçons pratiques d'un habile maitre jardinier, M. Leveziel.
Les élèves dont la santé réclame le grand air et ceux
qui, d'une intelligence médiocre, n'ont pu réussir dans les autres ateliers,
composent, au nombre de quarante environ, une petite colonie agricole. C'est
ainsi qu'en 1’absence d'une école spéciale a été heureusement résolue à l'institution
nationale de Paris la question des sourds-muets arriérés.
De la terrasse, M. le Président de la République
examine la façade extérieure des bâtiments, des classes et des ateliers qu'il
vient de parcourir, les préaux, la grande salle de recréation et d'exercices
gymnastiques. Le Directeur expose à M. le Président les soins tout particuliers
donnés aux jeunes sourds-muets au point de vue de l'hygiène, et notamment en ce
qui concerne les exercices physiques (gymnastique, promenades, recréations), le
service balnéaire, l'alimentation. A propos du régime alimentaire, M. le Président
de la République s'informe paternellement du menu du jour pour les élèves, et
il y fait ajouter un extra, avec la promesse d'envoyer du vin de Champagne.
Seule, l'infirmerie n'a pas encore reçu la visite présidentielle.
De la cour d'honneur, le Directeur en indique le bâtiment à M. le Président, en
se félicitant de la voir en ce moment totalement dépourvue de pensionnaires.
Le Directeur signale à ce propos à M. le Président le
dévouement et le zèle des dames infirmières de l'institution nationale.
La visite étant terminée, M. le Président de la République
revient sous la galerie, il retrouve tout le personnel de l'institution. M. le Président,
s'adressant au personnel, a bien voulu s'exprimer en ces termes :
« Je suis vraiment émerveillé des belles et bonnes
choses que je viens de voir dans cette maison. J'adresse mes sincères félicitations
à M. le Directeur et à ses dignes collaborateurs pour le zèle et le dévouement
qu'ils apportent dans l'accomplissement
de la tâche difficile que Ieur a confié le gouvernement de la République.
Soyez assures, Messieurs, que vos efforts et vos
travaux vous donnent droit, non-seulement à la reconnaissance des familles de vos intéressants élèves, mais
encore à celle de la France entière, à
laquelle vous rendez des fils qu'elle pouvait croire a jamais exclus de la
société Votre tâche, Messieurs, est véritablement une œuvre patriotique, que
vous accomplissez avec modestie et avec un complet désintéressement.
Je vous félicite encore une fois, Monsieur le
Directeur, ajoute M. le Président de la République, et je suis heureux de vous
donner l'assurance que le meilleur accueil sera réserve aux propositions de récompenses
honorifiques que vous présenterez en
faveur des membres de votre personnel.
Pour les élèves, vous voudrez bien leur donner un jour
de congé. »
Le Directeur s'incline pour remercier le chef de
l'état de ce précieux témoignage de sa haute satisfaction et de sa
bienveillance. II est quelques minutes avant midi lorsque M. le Président de la
République remonte en voiture et quitte l'institution nationale, salue
respectueusement par l'assistance.
Après sa visite à l'institution nationale des
sourds-muets de Paris, M. le Président de la République a charge M. le Ministre
de l'intérieur de transmettre a M. le Directeur Debax, préfet honoraire, le témoignage
suivant de sa haute satisfaction.
A Monsieur Debax, directeur de l'institution nationale
des sourds-muets de Paris.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR Paris, le 25 Janvier 1897.
Monsieur le Directeur,
A la suite de la visite qu'il a faite récemment a l'institution
nationale des sourds-muets de Paris, M. le Président de la République m'a
charge de vous faire connaitre qu'il a vivement apprécie la bonne tenue de l'établissement,
ainsi que les résultats intéressants qui y sont obtenus et dont une partie doit
être attribue a l'impulsion que vous avez donnée aux divers services.
Je suis heureux de vous transmettre ce témoignage
officiel de la satisfaction du chef de l’État.
Agréez, Monsieur le Directeur, l'assurance de ma considération
très distinguée,
Le Ministre de L’intérieur,
Signe : Louis Barthou.
A l'occasion de la visite de M. le Président de la République,
et sur le désir qu'il a bien voulu exprimer, la dépêche suivante a été adressée
par l'institution nationale des sourds- muets de Paris à l'école impériale des
sourds-muets de Saint-Pétersbourg :
A Monsieur d'Ostrogradsky, conseiller d’État,
Inspecteur des études a l'institution impériale des sourds-muets de Saint-Pétersbourg
(Russie).
Paris, le 13 Janvier 1897.
Monsieur le conseiller d’État,
A l'occasion de la visite de M. le Président de la République
à l'institution nationale des sourds-muets de Paris, et a l'occasion du premier
jour de l'année russe, les maitres et les élèves de l'école de Paris adressent aux
maitres et aux élèves de l'école de Saint-Pétersbourg leur affectueux souvenir
et leurs meilleurs souhaits.
L'Institution nationale des sourds-muets de Paris.
L'institution impériale des sourds-muets de Saint-Pétersbourg
a répondu aussitôt par ce télégramme :
A Monsieur le Directeur de l'institution nationale des
sourds-muets de Paris.
Saint-Pétersbourg, 15 Janvier 1897.
Monsieur le Directeur,
Nous vous remercions bien sincèrement pour votre
aimable souvenir et vous prions de recevoir nos meilleurs souhaits.
Directeur, Professeurs et élèves de l'institution impériale
des sourds-muets de Saint-Pétersbourg,
A 1'occasion de la visite de M. le Président de la République
à l'institution nationale des sourds-muets de Paris, et conformément aux
propositions de distinctions honorifiques présentées par M. le Directeur, des médailles
d'argent de l'assistance publique ont été décernées par M. le Ministre de l'intérieur
: a M. Dubranle, Censeur des études; 2° a M. Burgers, professeur de dessin ont été
nommes :
OFFICIER DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE :
M. Thomas (Adolphe), économe de l'institution
nationale des sourds-muets de Paris.
OFFICIERS D’ACADÉMIE :
MM. Marichelle (Hector), professeur à l'institution
nationale des sourds-muets;
Dufo de Germane (Pierre-Calixte), professeur à l'institution
nationale des sourds-muets ;
Boyer (Auguste-Eugene), conservateur adjoint du Musée
universel des sourds-muets;
Grell, chargé du cours professionnel de cordonnerie à
l'institution nationale des sourds-muets de Paris.
Par le même arrêté, un ancien élève de l'institution
nationale des sourds-muets de Paris, M. Henri Gaillard, sourd-parlant d'une
grande instruction, a été nomme officier d'académie, en récompense des services
qu'il ne cesse de rendre aux sourds-muets adultes, notamment par la publication
d'un journal destine à soutenir leurs intérêts.
M. le Directeur Debax a tenu à récompenser
l'enseignement professionnel, et, sur sa proposition, des médailles d'honneur (bronze)
sont décernées à M. Drovin, professeur de sculpture; Franclet, professeur de
menuiserie; Decoeur, chef de l'atelier de typographique.
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