Marie MEUNIER (1806-1877)
Meunier, Mlle Marie-Jeanne-Thérèse, sourde-muette, enfant trouvée, élève, puis monitrice, puis 1er ouvrière lingère de l'Institution Nationale des Sourds-Muets de Paris, à laquelle elle a légué 741 francs de rente, fruit de ses économies pour payer chaque année le trousseau d'un enfant sourd-muet pauvre, c'est-à-dire de ses longues et persévérantes privations. Cette pauvre fille, modèle de toutes les vertus, fait grand honneur à la maison de l'abbé de l’Épée.
Je rends hommage à cette grande dame.
Portrait peint part Viala. T.
Texte trouvé écrit par Théophile Denis. Conservateur du Musée universel des sourds-muets de Paris.
Le 11 mai 1806, l'hospice des Enfants-Trouvés
recueillait une petite fille qui reçut le nom de Marie Meunier. On ne tarda pas
à s'apercevoir que la pauvre abandonnée était sourde-muette de naissance.
Marie fut élevée dans l'asile jusqu'à l’âge de quinze
ans. Elle s'y montra si docile, si laborieuse, si intelligente, que l'administration
eut la charitable inspiration de la faire entrer dans l'Institution Nationale des Sourds-Muets de Paris, alors affectée aux élèves des deux sexes.
Elle y fut admise le 15 Janvier 1821.
Pendant les six années que durèrent ses études, Marie
se fit remarquer par sa conduite exemplaire, par l'exquise douceur de son caractère
et par son ardent amour du travail. Aussi ne pouvait-on songer à congédier
cette vertueuse fillette qui, sans famille et sans appui, n'aurait su de quel côté
diriger ses pas.
Elle fut donc retenue dans l'établissement de la rue Saint-Jacques
en qualité de monitrice. Sa joie fut grande le jour où ce titre lui fut accordé.
Mais quelle félicité n'éprouva-t-elle pas lorsqu'elle toucha la première des
faibles gratifications dont on rémunérait alors les services de la monitrice !
D’où lui venait cette passion subite de l'argent? Avait-elle de futiles caprices
à satisfaire? Le gout de la toilette se réveillait-il en elle comme une des
aspirations naturelles a la jeunesse'?
Non... Ce premier argent lui apportait enfin l'espoir
de pouvoir réaliser le rêve sublime qui allait occuper toutes les minutes de sa
vie. Cet argent, elle le caressait des yeux avec la fièvre de l'avare, elle le
cacha avec des précautions infinies, gardant ce minuscule trésor avec les plus
troublantes anxiétés.
Marie devint maitresse d'ouvrage. Des appointements étaient
attaches a cette fonction. Qui saura jamais les jouissances de la pauvre fille,
entassant dans sa cachette les petites sommes qui lui étaient régulièrement
servies chaque mois? Son rêve sortait de plus en plus des limbes de l’imagination,
elle le voyait se développer sous des formes réelles qui allaient toujours en
grandissant.
Notre chère avare ne se fut point pardonné de toucher
si peu que ce fut, sans une absolue nécessite, a ses précieuses épargnes. Ne
franchissant jamais le seuil de l'institution, elle se tenait à l'écart de tous
les appétits que peut faire naitre la vue des choses du dehors. Ses seules jouissances
étaient les privations, car les privations la menaient a son but. Renonçant énergiquement
a toutes les douceurs matérielles, elle se contentait d'ajouter à l'âpre
plaisir d'amasser celui de se faire aimer de ses élèves et de tout le personnel
de la maison.
Et ce fut ainsi durant cinquante années.
Marie Meunier avait fait un testament, digne
couronnement de sa vie de sacrifice et de dévouement.
Elle ne laissait pas des millions, la pauvre enfant trouvé,
née dans la noire misère et l'affreux abandon (elle léguait à l'Institution Nationale des Sourds-Muets de Paris 741 francs de rente).
Mais où est le testament qui vaille celui-ci?
En voici le texte :
« Je fais ce legs a l'institution de Paris par
reconnaissance du bien qui m'a été fait, non seulement en m'accordant le bienfait
de l'instruction et en m'attachant ensuite comme maitresse à la maison des
sourdes-muettes, mais aussi en me conservant dans l'institution à titre d'attachée
a la lingerie, lors de la translation des élèves sourdes-muettes à Bordeaux.
Cette rente est le fruit de mes économies amassées pendant
a peu du jour ou fait reçu ma première gratification et augmentés depuis que je
touche des appointements réguliers. C'est avec bonheur que je faisais ces économies,
en pensant qu'un jour elles pourraient aider de pauvres enfants à recevoir le
bienfait de I 'éducation qui m'a été généreusement accordée... »
Les membres de la Commission consultative de l'institution
nationale ont été émus jusqu'aux larmes en prenant connaissance de cette
disposition. On retrouve les traces de cette émotion dans la délibération
suivante, du 10 mai 1877 :
...La Commission exprime ses sentiments de vive reconnaissance
pour la mémoire de la bienfaitrice qui, sourde-muette elle-même et abandonnée
par ses parents, qu'elle n'a jamais connus, s'est privée, chaque jour, pendant de
longues années, d'une part de son modeste traitement en vue de cet acte de générosité.
»
Aucun éloge ne saurait s'élever à la hauteur de
l'admirable abnégation de cette femme de bien, dont l’âme, on peut le dire, s'était
trempée dans l’âme de l’abbé de l’Épée.
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