mercredi 17 juin 2015

Marie MEUNIER (1806-1877)

Meunier, Mlle Marie-Jeanne-Thérèse, sourde-muette, enfant trouvée, élève, puis monitrice, puis 1er ouvrière lingère de l'Institution Nationale des Sourds-Muets de Paris, à laquelle elle a légué 741 francs de rente, fruit de ses économies pour payer chaque année le trousseau d'un enfant sourd-muet pauvre, c'est-à-dire de ses longues et persévérantes privations. Cette pauvre fille, modèle de toutes les vertus, fait grand honneur à la maison de l'abbé de l’Épée.

Je rends hommage à cette grande dame.

Portrait peint part Viala. T.

Texte trouvé écrit par Théophile Denis. Conservateur du Musée universel des sourds-muets de Paris.



Le 11 mai 1806, l'hospice des Enfants-Trouvés recueillait une petite fille qui reçut le nom de Marie Meunier. On ne tarda pas à s'apercevoir que la pauvre abandonnée était sourde-muette de naissance.



Marie fut élevée dans l'asile jusqu'à l’âge de quinze ans. Elle s'y montra si docile, si laborieuse, si intelligente, que l'administration eut la charitable inspiration de la faire entrer dans l'Institution Nationale des Sourds-Muets de Paris, alors affectée aux élèves des deux sexes.



Elle y fut admise le 15 Janvier 1821.



Pendant les six années que durèrent ses études, Marie se fit remarquer par sa conduite exemplaire, par l'exquise douceur de son caractère et par son ardent amour du travail. Aussi ne pouvait-on songer à congédier cette vertueuse fillette qui, sans famille et sans appui, n'aurait su de quel côté diriger ses pas.



Elle fut donc retenue dans l'établissement de la rue Saint-Jacques en qualité de monitrice. Sa joie fut grande le jour où ce titre lui fut accordé. Mais quelle félicité n'éprouva-t-elle pas lorsqu'elle toucha la première des faibles gratifications dont on rémunérait alors les services de la monitrice ! D’où lui venait cette passion subite de l'argent? Avait-elle de futiles caprices à satisfaire? Le gout de la toilette se réveillait-il en elle comme une des aspirations naturelles a la jeunesse'?

Non... Ce premier argent lui apportait enfin l'espoir de pouvoir réaliser le rêve sublime qui allait occuper toutes les minutes de sa vie. Cet argent, elle le caressait des yeux avec la fièvre de l'avare, elle le cacha avec des précautions infinies, gardant ce minuscule trésor avec les plus troublantes anxiétés.



Marie devint maitresse d'ouvrage. Des appointements étaient attaches a cette fonction. Qui saura jamais les jouissances de la pauvre fille, entassant dans sa cachette les petites sommes qui lui étaient régulièrement servies chaque mois? Son rêve sortait de plus en plus des limbes de l’imagination, elle le voyait se développer sous des formes réelles qui allaient toujours en grandissant.



Notre chère avare ne se fut point pardonné de toucher si peu que ce fut, sans une absolue nécessite, a ses précieuses épargnes. Ne franchissant jamais le seuil de l'institution, elle se tenait à l'écart de tous les appétits que peut faire naitre la vue des choses du dehors. Ses seules jouissances étaient les privations, car les privations la menaient a son but. Renonçant énergiquement a toutes les douceurs matérielles, elle se contentait d'ajouter à l'âpre plaisir d'amasser celui de se faire aimer de ses élèves et de tout le personnel de la maison.



Et ce fut ainsi durant cinquante années.



Marie Meunier avait fait un testament, digne couronnement de sa vie de sacrifice et de dévouement.



Elle ne laissait pas des millions, la pauvre enfant trouvé, née dans la noire misère et l'affreux abandon (elle léguait à l'Institution Nationale des Sourds-Muets de Paris 741 francs de rente).



Mais où est le testament qui vaille celui-ci?



En voici le texte :



« Je fais ce legs a l'institution de Paris par reconnaissance du bien qui m'a été fait, non seulement en m'accordant le bienfait de l'instruction et en m'attachant ensuite comme maitresse à la maison des sourdes-muettes, mais aussi en me conservant dans l'institution à titre d'attachée a la lingerie, lors de la translation des élèves sourdes-muettes à Bordeaux.



Cette rente est le fruit de mes économies amassées pendant a peu du jour ou fait reçu ma première gratification et augmentés depuis que je touche des appointements réguliers. C'est avec bonheur que je faisais ces économies, en pensant qu'un jour elles pourraient aider de pauvres enfants à recevoir le bienfait de I 'éducation qui m'a été généreusement accordée... »



Les membres de la Commission consultative de l'institution nationale ont été émus jusqu'aux larmes en prenant connaissance de cette disposition. On retrouve les traces de cette émotion dans la délibération suivante, du 10 mai 1877 :



...La Commission exprime ses sentiments de vive reconnaissance pour la mémoire de la bienfaitrice qui, sourde-muette elle-même et abandonnée par ses parents, qu'elle n'a jamais connus, s'est privée, chaque jour, pendant de longues années, d'une part de son modeste traitement en vue de cet acte de générosité. »



Aucun éloge ne saurait s'élever à la hauteur de l'admirable abnégation de cette femme de bien, dont l’âme, on peut le dire, s'était trempée dans l’âme de l’abbé de l’Épée.


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